Je me souviens d’avoir vu et entendu pour la première fois Nina Berberova interviewée par un Bernard Pivot totalement sous le charme, un vendredi soir du temps béni d’Apostrophes.
Ce petit bout de femme dégageait une force et une autorité naturelle incroyables ; je m’étais précipitée sur mon premier livre chez Actes Sud : C’est moi qui souligne.
Je l’ai ressorti il y a quelques jours de son étagère oubliée pour me replonger avec délectation dans le récit de sa vie.
Née en 1901 à Petersbourg d’une mère russe (orthodoxe, gardienne des traditions), et d’un père arménien (l’originalité dans les gênes), la jeune Nina a très vite affiché une personnalité farouchement indépendante. Décidée très jeune à se trouver un travail, elle raye consciencieusement tous les noms d’une liste avant d’arrêter son choix sur le plus exigent métier qui soit : poète.
Elle côtoie très vite la fine fleur des artistes et écrivains russes, surtout ses jeunes poètes et tombe amoureuse de l’un d’entre eux : Khodassevitch. Ensemble, ils quittent Petersbourg pour ne plus y revenir, s’installent à Berlin, puis Prague, l’Italie, enfin Paris. Ils y vivent dans la pénurie mais les discussions littéraires et poétiques sont vives le soir dans les cafés.
Khodassevitch est malheureusement atteint de cette espère de langueur nostalgique russe qu’elle-même ne connait pas :
« lui redoutait le matin les catastrophes du soir, moi j’attendais la nuit les joies du lendemain »
C’est la rupture et la vie commune avec un peintre russe pendant la guerre ; des années difficiles mais heureuses auprès de cet homme qu’elle quitte cependant en 1948.
Survient alors la nécessité de partir, de quitter cette Europe qu’elle aime, pour une terre de tous les possibles : les USA. Nina Berberova a perdu peu à peu les membres de cette communauté russe intellectuelle au sein de laquelle elle avait grandi à Paris, dont elle avait partagé les peines et les révoltes ; dès 1928, elle souligne indifférence devant le sort des intellectuels en Russie. La communauté n’était plus : il y a avait eu les retour là-bas (Gorki), l’exil en Amérique (Nabokov), la maladie et la mort (Khodassevicth) et puis beaucoup de suicides.
Elle note que sur la scène parisienne d’après-guerre dominée par Sartre, Aragon et Eluard, il y a trop de condescendance voire de glorification du communisme, écœurant pour elle. Elle part donc pour mener une vie plus douce ; 7 métiers en 7 ans et puis ce poste de professeurs de littérature russe à Yale et le succès littéraire, sur le tard.
» Je pensais que je deviendrais quelqu’un, mais je ne suis devenue personne, je n’ai fait qu’être. »
Merveilleuse Nina Berberova, pugnace, forte.